La malédiction de l’homme providentiel

jeu, 04/09/2025 - 13:57

Depuis plus d’une décennie, Biram Dah Abeid occupe une place difficile à ignorer. Ses arrestations répétées n’ont pas freiné son ascension. Elles l’ont renforcée. Ses candidatures présidentielles en 2014 et 2024, son siège parlementaire, sa reconnaissance internationale font de lui une voix centrale. Mais ce rôle, il ne l’a pas seulement conquis. Les régimes successifs l’ont façonné. En l’emprisonnant. En le libérant. En écartant d’autres figures comme Samba Thiam dont le parti attend toujours reconnaissance. Le pouvoir semble préférer une figure qu’il croit pouvoir canaliser à une opposition plurielle qu’il ne contrôle pas.

Un État de figures

Depuis 1960, la Mauritanie s’écrit à travers des hommes. Rarement à travers des règles. Moktar Ould Daddah en arbitre. Haidalla et Taya en rectificateurs. Aziz en sauveur autoproclamé. Cette personnalisation reflète une culture politique influencée par la tribu et la zawiya. On cherche la protection d’un homme plutôt que la garantie d’une institution. La loyauté va au chef. Pas à la règle.

Une opposition prisonnière du schéma

L’opposition ne fait pas exception. Biram, par son parcours et ses scores électoraux, est devenu une figure de référence. Mais il reste enfermé dans le rôle de messie. Pour ses partisans, il incarne l’espoir. Pour ses adversaires, il sert de repoussoir. Même Tawassoul, organisé et discipliné, reste confiné à sa base beïdane. La CVE de Kane Hamidou Baba, pourtant inclusive, fut vite réduite au parti des négro-mauritaniens. Ici, les projets nationaux sont rabattus sur des identités communautaires. La loyauté va moins à une idée qu’à celui qui parle au nom d’une mémoire blessée. Dans un pays traversé par des fractures ethniques et régionales, cette dynamique devient précaire. Maures. Haratins. Soninkés. Wolofs. Peuls. Autant de mémoires de domination. De marginalisation. De privilèges inassumés. Loin d’être valorisée comme richesse, cette diversité est souvent exploitée comme facteur de clivage. Dans ce contexte, l’homme providentiel devient le garant d’un camp. S’identifier à lui revient à rechercher protection. Mais aussi à exclure l’autre. La stabilité se réduit à un équilibre fragile. Toujours exposé à la rupture.

Un multipartisme de surface

L’ouverture politique de 1992 n’a pas modifié ce schéma. Les partis ne transcendent pas les clivages. Ils les prolongent. Les clientèles s’échangent contre des promesses. Un siège. Un poste. Une parcelle d’influence. La récente loi sur les partis l’a montré. Dix formations reconnues. Aucune ne reflète la diversité du pays. Ce pluralisme de surface et ce monocolorisme assumé verrouillent la citoyenneté.

Le dialogue comme rituel

Exclure certaines voix ou refuser d’en entendre d’autres n’est pas un accident. C’est une stratégie. Préserver les équilibres. Gérer les peurs. Entretenir l’attente. Les figures providentielles absorbent les tensions. Le dialogue devient un rituel. Sans effets concrets. Le pays reste figé dans un provisoire sans fin. L’histoire mondiale offre d’autres trajectoires. Gandhi en Inde. Mandela en Afrique du Sud. Martin Luther King aux États-Unis. Autant de figures qui auraient pu devenir des idoles. Ils ont choisi la dissolution dans le collectif. Gandhi a rappelé que la règle devait survivre à l’homme. Mandela a quitté le pouvoir après un mandat. King a ouvert à sa communauté un horizon qui la dépassait. Ces parcours montrent qu’un leader peut incarner une cause sans en devenir le propriétaire.

Biram comme point de départ

La Mauritanie ne manque pas de voix. Elle manque d’un contrat commun. Biram est une voix forte. Mais il ne doit pas devenir l’issue ultime. Il peut être un déclencheur. Le départ d’un dépassement collectif. Ce qu’il faut bâtir, ce n’est pas la victoire d’un homme. C’est une citoyenneté consciente. Partagée. Plurielle.

Un contrat de réconciliation

Il est temps de sortir des loyautés fermées. De dépasser les fractures anciennes. D’assumer la richesse de nos langues. De nos cultures. De nos douleurs. La réconciliation nationale ne doit plus rester une formule. Elle est la seule voie d’avenir. Mais elle ne viendra pas d’en haut. Elle exige que toutes les forces vives du pays Haratins. Beïdanes. Négro-mauritaniens. Jeunes. Femmes. Diaspora se mobilisent ensemble. Non pour défendre une partie. Mais pour porter une cause. Le Sahel s’embrase. Partout, des États vacillent. L’Occident est absorbé par ses propres crises. Dans un monde pareil, nul ne viendra panser nos plaies. Nous n’avons pas besoin de division. Nous avons besoin de confiance. Et d’un contrat d’avenir. Si Gandhi. Mandela. King. Ont transformé la douleur en chemin. Alors la Mauritanie aussi peut tracer le sien. Non pas vers un homme. Mais vers une maison commune. Où chaque citoyen compte.

 

Mansour LY