
Contexte: Hassana Mbeirick vient de rentrer du Japon où il avait assisté à la neuvième édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD 9) qui s’est déroulée du 20 au 22 août 2025 à Yokohama, ainsi que de Singapour où il avait pris part à la huitième édition du Forum des Affaires Afrique-Singapour (ASBF 2025) qui s’est tenu à Singapour du 26 au 28 août 2025 et lors duquel Meen & Meen – en tant que Partner-Event – avait organisé une journée spéciale dédiée à la promotion des investissements en Mauritanie.
Question : Monsieur Hassana, quelles sont vos premières impressions au terme de ces deux évènements internationaux majeurs auxquels vous venez d’assister ?
Hassana Mbeirick : Ma toute première impression est d’avoir consolidé en moi l’idée que j’avais déjà que l’Afrique est au centre des enjeux de développement économique de la planète toute entière, que tous les pays du monde prennent en considération le continent africain dans leurs stratégies respectives de développement, que ce soit en termes de marché de consommation, de débouchés pour leurs investissements et principalement dans les infrastructures, ou encore en termes de source d’approvisionnement, en particulier pour les minéraux critiques ainsi que le gaz naturel.
Question : A ce propos, quels sont les principaux atouts de l’Afrique et pourquoi cet engouement pour notre continent?
Hassana Mbeirick : Faut-il rappeler que l’Afrique représente presque 18% de la population mondiale avec 1,3 milliards d’habitants ? En plus de cela, la société africaine est extrêmement jeune avec presque 50% de sa population de moins de 15 ans. C’est incontestablement la plus jeune région du monde.
En outre, l’Afrique possède les réserves minérales les plus importantes de la planète, globalement 30% des réserves mondiales, dont 75% des réserves mondiales de platine, 50% des réserves de diamant et de chrome, 20% des réserves d’or et d’uranium, 85 à 95% des réserves des métaux du groupe du chrome et du platine, 85% des réserves de phosphate, plus de 50% des réserves de cobalt, 33% des réserves de bauxite ainsi que du charbon, du cuivre, du minerai de fer, etc. Egalement, l’Afrique possède 10% des réserves mondiales de pétrole et 8 % de celles de gaz naturel.
J’en parle ainsi car cela a été justement le sujet de mon intervention lors du Sommet Japonais de l’Energie en 2024 à Tokyo.
Question : Avec une aussi impressionnante richesse en ressources naturelles, quelles sont les réelles perspectives de croissance pour l’Afrique dans le contexte mondial actuel ?
Hassana Mbeirick : Les Perspectives de l’économie mondiale publiées par le FMI en avril 2025 brossent un tableau sombre des prévisions économiques mondiales, soulignant que la croissance du PIB est modérée, que les niveaux d’endettement restent élevés, que le protectionnisme ralentit le commerce mondial, que les inégalités se creusent à l’échelle mondiale et que la montée des pressions inflationnistes menace la stabilité macroéconomique.
La pauvreté sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions reste le plus grand défi mondial, en particulier en Afrique, et son éradication est une condition indispensable au développement durable.
Par ailleurs, les récents changements géostratégiques marquent un affaiblissement du multilatéralisme et des institutions multilatérales.
Bien qu’il dispose de ressources et de perspectives de croissance importantes, le continent reste particulièrement vulnérable aux chocs extérieurs et doit encourager la création d’environnements propices à l’innovation dans tous les domaines et tirer parti de ces derniers afin d’accélérer sa transformation socio-économique.
Le secteur privé pourrait jouer un rôle beaucoup plus important en Afrique.
Question : Parlons maintenant de la TICAD, quel a été le niveau de participation des pays africains à la TICAD 9 et en particulier la Mauritanie ?
Hassana Mbeirick : Cette année à Yokohama, quarante-neuf États africains ont participé à la TICAD 9 dont des chefs d’État et de gouvernements africains en plus de représentants d’organisations régionales et internationales ainsi que du secteur privé africain. Bien entendu, la Mauritanie était au rendez-vous avec la présence remarquée de notre Président de la République Son Excellence Monsieur Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani qui était accompagné d’une forte délégation ministérielle. Je tiens ici à saluer ce fait tout en déplorant profondément l’absence tout aussi remarquée de notre secteur privé.
Vous savez, quand on considère l’esprit de la TICAD depuis sa création en 1993 qui est fondé sur le renforcement des relations bilatérales tant politiques que commerciales entre le Japon et l’Afrique, ainsi que les profondes mutations géopolitiques et géostratégiques que le monde traverse aujourd’hui, la question se pose légitimement quant à l’absence totale de notre secteur privé à une telle rencontre.
Aux plans économique, financier, industriel et technologique, nous avons beaucoup à gagner avec le Japon.
Question : A quel titre aviez-vous participé à la TICAD 9 ?
Hassana Mbeirick : En tant que secteur privé, j’étais invité par JETRO, l’organisation japonaise du commerce extérieur qui est un organisme gouvernemental pour la promotion des échanges et des investissements pour prendre part à la conférence « Dialogue public-privé Japon-Afrique » co-organisée par le Conseil des entreprises japonaises pour l’Afrique (JBCA).
Cet événement a constitué une plateforme permettant aux entreprises japonaises de présenter leurs technologies et services à des hauts responsables gouvernementaux ainsi qu’à des chefs d’entreprise des pays africains participant à la TICAD 9.
Il visait également à diffuser un large éventail d’informations sur les affaires et les investissements en Afrique auprès des entreprises japonaises, afin de susciter un intérêt accru pour les marchés africains et d’encourager une expansion plus significative dans la région.
Question : Quels ont été les points saillants de la TICAD 9 ?
Hassana Mbeirick : Placée sous le slogan « Co-créer des solutions innovantes avec l’Afrique », la TICAD 9 a offert une plateforme multilatérale unique à un large éventail de parties prenantes et a promu la coopération internationale selon les principes directeurs de l’appropriation par l’Afrique, du partenariat international et de l’ouverture.
La TICAD constitue un forum précieux pour les échanges intellectuels qui sous-tendent la co-création collaborative de solutions innovantes impliquant l’Afrique, le Japon et la communauté internationale.
Question : Plus concrètement, quelle a été en substance la teneur de la rencontre cette année entre le Japon et l’Afrique ?
Hassana Mbeirick : Les discussions ont fondamentalement porté sur les voies et moyens de co-créer des solutions innovantes et durables qui permettront aux pays africains, riches de leur diversité et de leur dynamisme, de mener à bien leur transformation structurelle et de relever les défis actuels liés à l’insécurité économique, à l’insécurité humaine et aux inégalités.
Il a également été question d’accélérer la mise en œuvre du deuxième Plan décennal de mise en œuvre de l’Agenda 2063 de l’UA pour une Afrique intégrée, prospère et pacifique.
En somme, toutes les parties prenantes ont souligné l’importance de veiller à ce que les résultats de la TICAD reflètent une intégration équilibrée de la vision commune et des intérêts mutuels des États membres de l’UA et du Japon, dans un esprit de partenariat équitable.
Question : Compte tenu de cette réalité, quels sont les réels défis que l’Afrique pourrait relever en partenariat avec le Japon ?
Hassana Mbeirick : Il faudra d’abord reconnaitre que l’instabilité compromet les perspectives économiques, nuit au développement humain, épuise les ressources naturelles, physiques et financières, accroît les risques perçus et alourdit le fardeau qui pèse sur les finances publiques.
Pour faire face à ces défis, il est essentiel de mener des actions coordonnées, progressives et adaptées au contexte afin d’inverser cette dynamique et de tirer pleinement parti des nouvelles opportunités qui se présentent.
Conscients de ces enjeux, il y a une nécessité urgente de relever les défis existants et émergents selon une approche globale et interdépendante en vue d’établir les conditions préalables à une croissance inclusive et à un développement durable.
Il faudra chercher à répondre à tout un ensemble de lacunes sociales dans des secteurs critiques tels que la santé, l’éducation et la sécurité sociale, accentuées par divers défis mondiaux tels que le changement climatique, le manque d’énergie, les nouvelles technologies numériques, notamment l’intelligence artificielle, la cyber-sécurité, la réduction des risques de catastrophe et le bien-être humain.
En l’occurrence, le Japon est un partenaire idéal pour l’Afrique.
Question : Parlons à présent du Africa-Singapour Business Forum 2025, de Tokyo vous êtes allé directement à Singapour pour prendre part à cet autre évènement international dont l’Afrique est encore une fois l’invité d’honneur, si l’on peut dire. Qu’en est-il exactement ?
Hassana Mbeirick : Le Africa Singapore Business Forum (ASBF) est organisé par Enterprise Singapore tous les deux ans. Enterprise Singapore est une agence gouvernementale sous tutelle du Ministère du commerce et de l’industrie de Singapore et dont la mission principale est d’offrir un support au développement et à la croissance des entreprises singapouriennes.
Ce forum est la principale plateforme d’échanges commerciaux et de promotion des échanges commerciaux entre l’Afrique et l’Asie. Depuis son lancement en 2010, il a réuni plus de 5.000 dirigeants d’entreprises et de gouvernements de plus de 50 pays pour explorer les partenariats et les opportunités de croissance entre ces deux régions dynamiques.
Faut-il rappeler que Singapour constitue une plateforme de startups et de commerce de premier plan.
Question : Pourquoi encore l’Afrique ?
Hassana Mbeirick : Tout simplement, parce que le marché africain présente un fort potentiel pour les entreprises singapouriennes, avec des opportunités de croissance importantes dans les secteurs de l’énergie et du développement durable, des biens de consommation, du numérique, etc.
L’un des points forts de cet événement est son volet proactif de mise en relation d’entreprises.
Question : Qu’est-ce qui vous a décidé à être partenaire de cette huitième édition du ASBF 2025 ?
Hassana Mbeirick : Tout d’abord, parce qu’avec Enterprise Singapore, nous entretenons de bonnes relations depuis 2023 quand cette dernière nous avait sollicité et mandaté pour organiser un voyage d’affaires pour des délégations d’entreprises singapouriennes en Mauritanie et au Sénégal ; ce que nous avions effectué et réussi à l’époque. Et c’était une première dans l’histoire des deux pays.
C’est ainsi qu’en préparation de la huitième édition de l’ASBF cette année, Enterprise Singapore m’a contacté pour me proposer d’être Partner-Event en vue de mettre en valeur la Mauritanie lors de cet évènement international.
Inutile de vous dire que j’ai immédiatement accepté et saisi cette opportunité historique.
Question : Quelle est l’origine de cette relation de confiance mutuelle entre vous et Enterprise Singapore ?
Hassana Mbeirick : Tout a commencé en 2023 lorsque j’avais reçu deux invitations séparées, l’une de DMG Events pour participer en tant que Conférencier stratégique au Gastech 2023 à Singapore et l’autre de Golar LNG et Seatrium pour visiter l’unité de liquéfaction Gimi FLNG au shipyard de Keppel avant de prendre la mer en direction du projet GTA. Les deux évènements étaient programmés durant la même semaine.
Après ma conférence, j’ai été approché par Enterprise Singapore et la suite vous la connaissez.
Question : N’était-ce pas là un véritable challenge de vouloir organiser par vos propres moyens un évènement spécifique dédié à la promotion de la Mauritanie dans un cadre aussi prestigieux et surtout éloigné ?
Hassana Mbeirick : Oui et non. Il y avait certes un défi et des risques d’échec comme dans toute initiative pionnière. Mais, on aura toujours besoin de quelqu’un pour « briser la glace », pour faire tomber cette barrière psychologique inhibitrice et ouvrir la voie permettant d’avancer.
Et j’espère avoir ouvert la voie pour mon pays en Asie du Sud-Est, en particulier au Japon et à Singapour où nos couleurs nationales sont désormais assez connues dans les milieux d’affaires.
A lui seul, un aussi modeste résultat préliminaire vaut le challenge.
Question : Quel a été le niveau de la participation mauritanienne à la journée « Spécial Mauritanie » à l’ASBF 2025 et quel jugement objectif portez-vous sur son organisation?
Hassana Mbeirick : Avec indulgence, je dirai que la participation de notre secteur public a été assez timide avec la participation officielle et effective – ainsi que le support financier – du ministère des mines et de l’industrie ; et avec euphémisme, je dirai que la participation du secteur privé mauritanien a été regrettablement nulle.
Quant à mon jugement, j’oserai dire en toute objectivité et modestie que l’évènement spécifique dédié à la Mauritanie a été un franc succès ; et ce, pour de multiples raisons. La première est d’abord de l’avoir organisé au plan technique et logistique. Ensuite, d’avoir mis en vedette mon pays dans un cadre et un lieu pareil, en l’occurrence Singapour. Enfin, d’avoir suscité l’attractivité de la Mauritanie en tant que destination privilégiée des investissements et de développement des affaires.
Cependant, je tiens à signaler un fait marquant qui a indéniablement contribué à la réussite de la journée de la Mauritanie à l’ASBF 2025 à Singapour, c’est qu’à défaut de la participation de notre secteur privé, nous avons eu la participation active et pertinente de notre jeunesse instruite, dynamique et ambitieuse qui a fait le déplacement ; particulièrement nos jeunes femmes.
Question : Quelle leçon et/ou expérience tirez-vous de ces deux évènements internationaux: la TICAD 9 et l’ASBF 2025 ?
Hassana Mbeirick : Par expérience, la leçon est toujours la même mais pour une raison quelconque il nous arrive de ne pas toujours l’assimiler, de ne pas en tenir compte selon les circonstances ou tout simplement de l’ignorer magistralement. En l’occurrence, la leçon est la suivante : s’ouvrir au monde, aller vers l’autre, apprendre de l’autre, collaborer avec l’autre, interagir avec l’autre, intégrer les innovations et réagir pro-activement à l’évolution du monde.
Nous vivons aujourd’hui dans un monde interconnecté et en pleine mutation tant technologique que géopolitique ; et à la vitesse où il va, rater le coche se révèlera fatal.
Propos recueillis par Abou Cissé