La diplomatie mauritanienne : une puissance d’influence régionale et continentale à l’épreuve du second mandat de Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani

mer, 06/08/2025 - 04:56

Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani entame la deuxième année de son second mandat à la tête de la République islamique de Mauritanie. Élu en 2019 pour un premier mandat, il a dû, durant cinq ans, affronter de multiples défis.

La crise sanitaire de la COVID-19 fut l’un des premiers tests majeurs de son leadership. Dans un pays aux infrastructures fragiles, sa gestion efficace de la pandémie et de ses répercussions sanitaires, économiques et sociales a donné des résultats globalement encourageants, traduisant une maîtrise relative de la situation dans une période particulièrement instable.

Sur le plan interne, la Mauritanie demeure traversée par des tensions sociales et des inégalités structurelles. Face à une demande croissante d’équité, notamment sur les questions des droits civiques, de l’esclavage moderne et de la justice sociale, le Président a initié des programmes ambitieux de réduction de la pauvreté et d’inclusion sociale, comme Taazour et la CNASS, ciblant les couches les plus vulnérables. Il a également lancé des projets de croissance économique et d’emploi, en parallèle d’efforts de réforme administrative, judiciaire et sécuritaire, avec une volonté affichée de rupture avec certaines pratiques du passé.

En matière de gouvernance, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani continue de faire face à des attentes fortes : plus de transparence, une lutte accrue contre la corruption et une modernisation des institutions.

Politiquement, ses cinq premières années ont été marquées par la recherche d’un climat apaisé. Sous sa présidence, l’opposition traditionnelle – incarnée par des partis comme l’UFP, le RFD ou l’APP – s’est montrée moins virulente et parfois même coopérative. Certaines crises, notamment liées à des bavures policières ou à des mouvements sociaux, ont été rapidement désamorcées.

Sur le plan régional, la Mauritanie se situe dans un environnement instable, marqué par le terrorisme, les conflits armés et des coups d’État successifs. Malgré ce contexte, le pays a conservé un calme relatif, fruit d’une approche combinant dialogue préventif et sécurisation des zones sensibles.

Un leadership diplomatique africain affirmé

Durant son premier mandat, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani s’est imposé sur la scène diplomatique africaine grâce à une stratégie alliant discrétion et engagement multilatéral. La Mauritanie est aujourd’hui perçue comme un acteur stabilisateur dans un environnement régional fragilisé, tout en renforçant sa présence dans les instances continentales.

Une présidence marquante de l’Union africaine

Depuis sa prise de fonction à la tête de l’Union africaine (UA) en février 2024, le président mauritanien a donné une orientation claire à son mandat : médiation, sécurité collective et intégration économique. Il a œuvré à repositionner l’UA comme un acteur crédible dans la résolution des conflits et une voix influente dans les débats mondiaux.

Médiation, Sécurité au Sahel et prévention des conflits

En avril 2024, il supervise l’envoi d’une mission de bons offices à Port-Soudan en collaboration avec l’IGAD, pour faciliter un cessez-le-feu. En juin, il convoque un sommet restreint à Addis-Abeba sur la Corne de l’Afrique, réunissant chefs d’État et partenaires internationaux afin d’apaiser les tensions entre l’Éthiopie, la Somalie et l’Érythrée.

Le président mauritanien, fort d’un back-ground d’ancien chef d’état-major Général des Armées et d’ex Ministre de la Défense de son pays, s’est également mobilisé pour une stratégie régionale durable face aux menaces terroristes. En mars 2024, lors d’une conférence régionale à Nouakchott, il lance l’Appel pour une stratégie sécuritaire intégrée au Sahel, plaidant pour une force multinationale africaine disposant d’un financement pérenne. Cette initiative a été entérinée en octobre par le Conseil Paix et Sécurité de l’UA.

L’approche mauritanienne face à l’extrémisme : un modèle de référence

La Mauritanie a développé une approche unique combinant dialogue religieux, dé-radicalisation et riposte sécuritaire. Entre 2005 et 2009, le pays a été confronté à des attaques terroristes, dont l’assassinat de touristes français en 2007. En réponse, un programme de dialogue religieux avec des prisonniers salafistes a été initié avec l’appui d’oulémas influents. Cette démarche a permis à une quarantaine de détenus de renoncer à la violence et de s’engager à ne pas récidiver, certains étant réinsérés socialement.

Cette stratégie, combinée à une professionnalisation des forces armées et à une surveillance renforcée des zones sensibles, a contribué à faire de la Mauritanie l’un des pays les plus stables du Sahel face à la menace djihadiste.

L’expérience mauritanienne inspire aujourd’hui plusieurs pays de la région – Burkina Faso, Mali, Niger, Tchad – qui tentent d’adopter des approches de dialogue communautaire et religieux, bien que leur mise en œuvre dépende des contextes locaux.

Diplomatie économique et positionnement mondial

Conscient que sécurité et développement sont indissociables, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a mis en avant une diplomatie économique proactive.

En mai 2024, lors du Forum panafricain de Kigali, il défend l’harmonisation douanière dans le cadre de la ZLECAf. En décembre, il soutient la création du Fonds africain pour l’innovation numérique, visant à stimuler l’entrepreneuriat technologique des jeunes.

Sur la scène internationale, il représente l’Afrique au Sommet du G20 à Rome en juillet 2024, plaidant pour une restructuration équitable de la dette africaine. À l’ONU, il réclame un siège permanent pour l’Afrique au Conseil de sécurité, dénonçant une « injustice historique ».

Une diplomatie du consensus et de la neutralité constructive

Face aux tensions en Afrique de l’Ouest, notamment entre la CEDEAO et les régimes militaires du Sahel, le président mauritanien privilégie un dialogue discret mais efficace.

La neutralité constructive adoptée sur les dossiers sensibles – Mali et Sahara occidental – permet à la Mauritanie de préserver des relations équilibrées avec ses voisins.

Il a rappelé dès 2020 : « La position de notre gouvernement sur la question du Sahara n’a pas changé et ne changera pas, car c’est l’un des principes de la politique étrangère du pays. »

Diplomatie migratoire : entre pressions et coopération

La question migratoire constitue un défi majeur. En mars 2025, la Mauritanie et l’Union européenne signent une Déclaration conjointe structurée autour de cinq axes : formation professionnelle des jeunes, soutien aux réfugiés et communautés hôtes, migration légale et circulaire, lutte contre le trafic d’êtres humains, renforcement des capacités de sauvetage en mer.

Un accord de 210 millions d’euros accompagne ce partenariat, combinant actions sécuritaires et investissements en développement local, énergie propre et emploi des jeunes.

Une diplomatie en mutation : défis et perspectives

La Mauritanie connaît une montée en puissance diplomatique, illustrée par l’élection de Sidi Ould Tah à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD). Ce succès reflète la crédibilité acquise par le pays dans les sphères panafricaines.

Pour maintenir son influence le pays doit relever un certain nombre de défis : construire une diplomatie économique plus offensive, notamment avec les pays émergents ; anticiper les crises régionales via une veille stratégique renforcée ; repenser les alliances au Sahel au-delà du G5, dans un cadre de coopération plus inclusif ; gérer la migration de manière concertée, en privilégiant le développement local et la coopération régionale.

 

Il faut retenir que SEM. Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, en entamant la deuxième année de son second mandat, peut se targuer d’avoir hissé la diplomatie mauritanienne à un niveau d’influence inédit. L’enjeu désormais est de transformer cette dynamique en un levier durable de développement, d’intégration africaine et de rayonnement international, en alliant pragmatisme, anticipation et humanisme dans un contexte géopolitique en constante évolution.

Par Kissima-Tocka*

*Contribution publiée dans le Magazine Horizons N 61 /août 2025

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