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Le 15 février 2025, lors du sommet de l’Union Africaine à Addis-Abeba, l’ambassadrice de Mauritanie en Éthiopie,son Excellence Khadijetou Mbareck Vall,a exprimé sa joie par des youyous, une tradition ancrée dans les cultures africaines et moyen-orientales.
Pourtant, ce geste naturel, chargé d’enthousiasme et de spontanéité, a suscité des controverses en Mauritanie, où certains ont jugé qu’il était contraire aux codes diplomatiques. Cette réaction, qui frôle l’absurde, mérite d’être analysée à l’aune des véritables enjeux auxquels notre société est confrontée.
Le youyou, ou « zgharitt », est une manifestation de joie que l’on retrouve dans plusieurs cultures africaines et arabes. Il n’est ni un manquement au protocole ni une offense à la diplomatie, mais une expression sincère d’enthousiasme, de fierté et d’unité. En l’occurrence, il a été formulé dans un cadre où l’Afrique célèbre son avenir et son union, dans une enceinte qui prône l’authenticité des peuples et le respect des cultures.
L’indignation de certains mauritaniens montre à quel point nous restons prisonniers d’une vision diplomatique calquée sur des standards occidentaux, souvent en décalage avec nos réalités. Or, la diplomatie ne devrait pas être une simple imitation des codes occidentaux, mais plutôt l’expression de nos valeurs propres, adaptées au contexte dans lequel nous évoluons. L’Afrique n’a pas à s’excuser d’être elle-même, encore moins de manifester sa joie dans ses propres enceintes. L’ambassadrice, par son geste, n’a fait qu’exprimer son attachement aux traditions de son continent, sans en compromettre le sérieux ni l’importance du sommet.
Ce qui choque davantage, ce n’est pas tant la réaction des médias sociaux et d’une frange de l’opinion publique à cet événement anodin, mais plutôt leur silence complice face à des réalités bien plus préoccupantes. Notre société, prompte à s’indigner pour un youyou, reste paradoxalement passive face à des injustices criantes : corruption, détournements de fonds publics, abus de pouvoir, crimes économiques, et bien d’autres maux qui gangrènent notre pays et hypothèquent son avenir du fait de l'insouciance de ses élites,de ses cadres,voire de ses citoyens intrépidement attachés à l'Éta-providence.
Pourquoi s’élever avec autant de véhémence contre une manifestation culturelle anodine, alors que tant de scandales majeurs passent sous silence, ou pire, sont minimisés, voire justifiés ? Pourquoi cette indignation ne se traduit-elle pas par une exigence accrue envers nos élites politiques, nos institutions et notre système judiciaire ?
Cette controverse est révélatrice d’un mal plus profond : notre tendance à privilégier le paraître au détriment du fond. Une diplomatie forte ne se mesure pas à la stricte application des codes occidentaux, mais à la capacité d’un État à défendre ses intérêts, à valoriser son identité et à s’affirmer sur la scène internationale. La Mauritanie, à travers ses représentants, doit incarner une voix singulière, fidèle à ses racines africaines et arabes, et non une version édulcorée de ce que l’Occident attend de nous.
Le cri de joie,"incident"pour certains, du sommet de l’Union Africaine doit donc être replacé dans son véritable contexte. Il ne s’agit pas d’un impair, mais d’un rappel que l’Afrique est plurielle, et que chaque pays a le droit d’exprimer sa culture sans craindre les diktats d’un protocole rigide et inadapté à nos réalités.
Plutôt que de nourrir des polémiques stériles, il serait plus judicieux d’engager une réflexion sur les véritables défis de notre diplomatie et sur la manière dont nous pouvons renforcer notre position sur l’échiquier international.
L’heure n’est pas à l’auto-flagellation pour un youyou, mais à l’affirmation d’une Mauritanie souveraine, enracinée dans son identité et résolument tournée vers l’avenir. L’indignation doit être placée là où elle est nécessaire : sur les véritables maux de notre société et non sur des faits anodins qui, en fin de compte, ne font que révéler notre propre complexe d’infériorité face aux modèles imposés de l’extérieur.
Abou Mariem