Le malheureux processus de démolition de la raffinerie de Nouadhibou a commencé cette semaine par les dépouillements des offres de sa sécurisation et de son démantèlement. Ce destin tragique n’était pas prévisible au moment de sa construction en 1975 par la société Autrichienne Voest Alpine.
Etant Ingénieur de raffinage du pétrole et ayant vécu toutes ses différentes étapes sur plus d’une trentaine d’années (responsable de la fabrication avec NAFTAL, responsable du dépôt de la raffinerie avec MEPP, ancien directeur technique de la SOMIR) , je me propose de vous livrer dans une première partie le secret de l’échec d’un projet initié en 1973.
Il faut tout d’abord dire qu’on s’attendait à cette époque au changement du modèle de la colonisation basé sur la production et l’exportation des produits de nos richesses vers le modèle de l’industrialisation par substitution aux importations (ISI) créateur d’emploi et promoteur de l’économie nationale.
Il fallait certes des transformations politiques importantes de l’autoritarisme vers la démocratie pour accompagner ce changement. Mais, contrairement à cela, une période d’instabilité politique marquée par la guerre du Sahara occidentale suivi d’une longue période de succession de coups d’état a mis cette expectation à l’eau et jusqu’à ce jour, l’investissement étranger ne semble pas progresser et l’industrie extractive est devenue notre principale ressource.
La situation actuelle héritée du régime précédent semble devenir similaire à celle de l’époque coloniale par l’exploitation de grandes puissances économiques de nos richesses et le gouvernement actuel aura de la peine à faire remonter la pente.
La raffinerie de pétrole était la première à faire les frais de cette crise de développement. Après que le différend entre notre pays et l’Algérie s’est estompé suite à la guerre du Sahara occidentale, un accord cadre a été signé avec l’Algérie pour son exploitation en 1986 pour une période de quinze ans.
Durant cette période, NAFTAL avait présenté au gouvernement mauritanien un déficit important étayé par une expertise d’un bureau Français BEICIP pour qu’elle se voit accorder une compensation remarquable de toutes ses soi-disant pertes.
Sur cette base, l’ancien président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya avait déclaré que ‘’les experts nationaux et étrangers avaient dit qu’il n’y avait pas d’autre solution ‘’que de la démonter et la jeter à la mer’’. Pourtant, tout cela n’était qu’une méconnaissance de la raffinerie par nos autorités qui a conduit finalement à cette situation dramatique que nous vivons aujourd’hui.
Durant les négociations avec la partie algérienne, il y avait, au tour de la table, des cadres mauritaniens qui n’avaient aucune idée du raffinage du pétrole face à des experts algériens chevronnés dans ce domaine. Finalement ce sont les thèses de NAFTAL que notre administration divulguait au point qu’il n’y avait pas autre chose sur la scène que l’argument des algériens et particulièrement le fait que la raffinerie n’était pas rentable et qu’elle ne pouvait traiter que le pétrole algérien de Hassi-Messaoud.
Il est important de préciser ici que, lors de l’étude de la raffinerie, les autorités de l’époque se sont bien gardées de faire un design spécifique pour la raffinerie de Nouadhibou de manière à pouvoir traiter un autre type de pétrole autre que le pétrole algérien.
Le procédé de raffinage utilisé chez nous était différent de celui des raffineries algériennes destinées uniquement au pétrole léger non sulfuré de Hassi- messaoud alors que notre raffinerie était doté d’une unité de désulfuration qui lui permettait de traiter d’autres types de pétroles sulfurés et moins chers.
En plus son schéma de fabrication lui conférait aussi de raffiner un pétrole plus lourd ayant un rendement élevé en gasoil compatible avec notre marché intérieur contrairement au pétrole de Hassi-Massaoud assez léger et riche en produits blancs particulièrement les essences.
Cela, je l’avais publié dans :
- Entretien avec Mauritanie Nouvelle en 1992 ;
- le N°4 du journal Echanges en date du 10 fevrier 2002 ;
- Au comité militaire CMJD le 29/8/2005 ;
- le N° 735 du journal Le Calame en date du 20 Avril 2010 (lettre ouverte au président de la république).
J’ai subi certes des pressions et des menaces de représailles dangereuses (en 2010) de la part de la SOMIR dans laquelle j’exerçais mais cela ne m’avait jamais empêché d’exposer le problème de la raffinerie à tous les niveaux.
Pour illustrer un peu tout cela, il faut dire que la raffinerie du Sénégal qui a démarré en 1963 (plus petite et plus âgé de 20 ans que notre raffinerie) continue à fonctionner jusqu’à ce jour. Sa capacité de production a été doublée en 2005. Elle est passée de 600 000 tonnes à 1 200 000 tonnes. En 2019, un accord a été signé avec Technip pour sa mise à niveau pour la production du pétrole prévue en 2022.
Après la fin du contrat avec Naftal 2002, le gouvernement avait accordé à la SOMIR quelque centaines de millions comme allocation pour la maintenance de la raffinerie entre 2002 et 2010, mais malheureusement là aussi, ce montant a été dépensé en totalité ailleurs pour d’autres besoins.
Par miracle, ses équipements essentiels en dehors de la tuyauterie (colonnes, échangeurs, réacteurs, pompes, compresseurs etc….) semblent à première vue être encore en bon état malgré l’abandon qu’elle a subi. Ceci est dû au fait que ces équipements sont pour la plupart protégés contre la corrosion de l’extérieur par une couche épaisse de laine de verre et de l’intérieur par les hydrocarbures qu’ils renferment.
Tout cela montre que les séquelles du déraillement de notre pays a affecté dangereusement le parcours de la raffinerie et l’ignorance de son dossier par nos autorité lui a été fatale.
A suivre….
El Hadj SIDI BRAHIM
Ingénieur en Raffinage du Pétrole.