Le 48ème anniversaire du premier noyau de libération des Haratine (2 décembre 1974 – 2 décembre 2022). Suite et fin/ Par Mohamed Yahya OULD CIRE

ven, 14/04/2023 - 11:16

Le 48ème anniversaire du premier noyau de libération des Haratine (2 décembre 1974 – 2 décembre 2022). Suite et fin/ Par Mohamed Yahya OULD CIRE

III. Les chefs d’Etats face aux Haratine et à l’esclavage

A. Moctar Ould Daddah (MOD) : 1957-1978

Il n’a pas fait face à la lutte contre l’esclavage même si le premier noyau de libération des Haratine et EL HOR (Organisation de Libération et d’Emancipation des Haratine) ont été créés sous sa présidence. Je renvoie à la partie I.

Moctar OULD Daddah fut le premier président de la Mauritanie indépendante. Son attitude vis à vis de l’esclavage se caractérisait par un cynisme. Il tait l’esclavage tout en étant conscient de son existence.

B. Mohamed Khouna Ould Haidallah (MKOH) : 1979-1984

Il est le premier chef d’Etat à abolir l’esclavage, tout comme il fut le premier à emprisonner les militants anti-esclavagistes.

MKOH avait un père zawi (ordre maraboutique) et une mère hassania (ordre guerrier). Musulman comme tous les mauritaniens, il était aussi un homme pieux. Son règne s’est distingué par une application de la Charia (lois islamiques). Comme si les ordonnances d’abolition devraient être accompagnées par une exécution stricte des lois islamiques dont les victimes ont été principalement les Haratine. Certains de ces derniers commettaient des vols et autres. En la matière, il s’est agi d’une application sélective de la Charia qui touche une population pauvre et miséreuse qui se manifeste par des coupures des mains, des pieds ainsi que des tueries. Très lié à MKOH, le capitaine Braike a supervisé les peines ordonnées par la Charia.

C. Maouiyya Sid’Ahmed Ould Taya (1984-2005)

Il a accumulé cinq facettes négatives durant son régime.

Il n’a pas appliqué les ordonnances et les circulaires de ces prédécesseurs à savoir MOD et MKOH.

Sous son régime, aucun texte abolissant l’esclavage n’a été pris.

Il a toujours nié l’existence de l’esclavage et du racisme.

Il avait fait de l’esclavage, du racisme et de l’Islam des sujets tabous. Le simple fait d’en parler peut amener en prison.

Ould Taya souhaitait que les haratine soient maintenus dans l’ignorance séculaire, fabriquée et entretenue, par les esclavagistes maures. Acquérir le savoir religieux (musulman) ne lui convenait pas. Pire, il hait l’expansion du savoir dont pourrait bénéficier les Haratine.

Voici le passage d’un discours de l’intéressé dans lequel il manifeste son mépris à l’égard de la communauté haratine : « Des personnes qui pas plus qu’hier travaillaient pour nous et nous versaient de l’eau sur les mains (soit pour laver les mains des maîtres d’esclaves ou pour leurs ablutions) s’absentent pour trois jours ( faisant référence au temps minimale requis pour s’initier à la prêche) reviennent avec des barbichettes et commencent à faire des Fatwa.»1

D. Ely Ould Mohamed Vall (EOMV)

EOMV a toujours nié l’esclavage et n’a jamais pris un texte juridique relatif à celui-ci. Il n’a pas appliqué les textes juridiques de ses prédécesseurs. Dans plusieurs discours, il a accusé les abolitionnistes de visées négatives en vue de diviser la Mauritanie.

E.  Sidi Ould Cheikh Abdellahi (SIDIOCA) : 2007-2008

Ce fut sous son mandat que la première loi d’abolition a été prise. Cette dernière a été plus ou moins appliquée. Son application a permis la libération de 43 esclaves (cf : Le choix entre le Coup d’Etat militaire et une démocratie esclavagiste et raciste). Son régime a connu la longévité la plus courte, comparée à ses prédécesseurs et successeurs.

 

Fenetre association

 

 

F. Mohamed Ould Abdel Aziz (MOAA) : 2008-2019

Sous son régime (2008-2019), MOAA a pris deux lois importantes : celles de 2015-031 et de 2018-023 évoquées ci-haut. Elles interdisent l’esclavage et le racisme. Sous son règne, la Constitution a été révisée à deux reprises (2012 et 2017). Celle de 2012 interdit, dans son article 13, l’esclavage et la torture. Cependant, MOAA s’est distingué par quatre attitudes négatives

Il n’a pas appliqué ces propres lois

Il a toujours nié l’esclavage. Mais paradoxalement, il a produit des textes abolissant celui-ci.

Il a affiché un profond mépris pour les Haratine et affirme qu’ils font beaucoup d’enfants.

Sous son pouvoir, les militants anti-esclavagistes ont été emprisonnés et torturés.

Un Mécanisme National de Prévention de la torture a été créé en avril 2016. Le 14 novembre 2016, une plainte visant de hauts responsables a été déposée au tribunal de grande instance de Paris. Ils sont accusés de « tortures et traitements cruels » à l’encontre des militants anti-esclavagistes.

G. Mohamed Ould Ghazouani (MOG)

Lors de l’audience du 12 mai 2022 accordée au rapporteur spécial de l’ONU sur les nouvelles formes de l’esclavage en la personne de Tomoya Obakata, Ould Ghazouani a déclaré ceci : « Nier l’esclavage était une mauvaise approche », et ce, contrairement aux gouvernements successifs qui ont toujours adopté une politique de dénégation de l’esclavage.

Ould Ghazouani ne nie pas l’esclavage, mais ne fait rien pour y mettre fin. Or, un président est responsable des problèmes que génère sa propre politique, mais aussi, responsable de l’héritage négatif que lui laissent ses prédécesseurs.

C’est sous son régime que Souvi OULD CHEINE, militant abolitionniste a été assassiné dans le commissariat de Dar Naim 2 à Nouakchott en février 2023.

IV . De l’application des textes juridiques

Monsieur Tomoya Obokata, rapporteur spécial de l’ONU sur les nouvelles formes de l’esclavage affirme ceci : « l’esclavage, ainsi que le travail forcé et le travail des enfants y [Mauritanie] persistent. » 2

La Mauritanie a pris beaucoup de textes juridiques, mais ne les applique pas. « Malgré le caractère élogieux de la loi 2015-031, le rapport du Haut-commissariat et du BIT relève un déficit important dans son application. Ainsi, les organes de contrôle du BIT et les instances de suivi des Nations Unies ne cessent de reprocher au gouvernement mauritanien que très peu de personnes responsables de crime d’esclavage ont été inquiétées. »3

La Commission Nationale des droits de l’Homme (CNDH) est régie par la loi 2010-31 du 20 juillet 2010. C’est une institution constitutionnelle depuis 2012. La CNDH peut s’autosaisir sur toutes les questions relatives à la protection et à la promotion des droits de l’Homme, aux libertés individuelles et collectives. Cependant, la CNDH n’a jamais présenté un seul cas d’esclavage devant les tribunaux depuis sa création. Elle ne remplit pas son rôle puisque très peu d’esclavagistes ont été jugés.

Trois tribunaux spéciaux ont été créés à Nouakchott, Nouadhibou et Néma, qui sont chargés de juger les pratiques esclavagistes. L’article 21 de la loi 2015-031 oblige le magistrat, face à des pratiques esclavagistes, de garantir les droits des victimes de l’esclavage. En vertu de l’article 25 de cette même loi, le juge face aux infractions relatives à l’esclavage doit assurer les droits à réparation des victimes.

Partant du constat des rapporteurs spéciaux des Nations Unies, force est de constater que la justice mauritanienne n’applique pas ses propres lois qui lui imposent de poursuivre les esclavagistes, de protéger et rendre justice aux victimes.

Conclusion

Comment expliquer l’existence d’un arsenal juridique interne et son inapplication ?

Je laisse de côté les conventions internationales signées et ratifiées par la Mauritanie qui interdissent toutes l’esclavage. La Convention Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 en est l’exemple. L’application des conventions internationales ratifiées relève des Etats ratifiants, mais aussi des organisations internationales à l’origine de la convention. Il s’agit pour la Mauritanie de l’ONU (Nations Unies) et l’UA (Union Africaine).

L’inapplication des textes juridiques internes ne peut s’expliquer que par l’absence de volonté politique. L’ensemble des chefs d’Etat évoqués ci-haut appartiennent à la communauté maure. Celle-ci détient à la fois les esclaves, le pouvoir politique, économique et judiciaire, ainsi de suite.

Pour conserver le pouvoir politique, la communauté maure a besoin de l’apport démographique des Haratine qui sont pour cette raison considérés comme des arabes. Or s’ils étaient arabes, ils ne seraient pas réduits en esclavage.

Au plan économique, les Haratine sont le moteur de l’économie mauritanienne, au bénéfice principalement de la communauté maure.

La raison fondamentale qui explique l’inaction est la volonté d’empêcher la libération des Haratine qui, à long terme peut mettre fin à la domination maure par une prise du pouvoir par les dominés que sont les Haratine. Le combat contre l’esclavage est loin d’être fini. L’écrasante majorité des haratine reste analphabète, soumise directement ou indirectement à l’esclavage et vit dans la pauvreté et la misère.

Face à cette volonté de blocage, le combat des Haratine ne doit jamais cesser. Cette tâche revient aux différentes générations haratine. A ce sujet, rappelons la citation de Frantz Fanon : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir. »

Le 1 mars 2023

DR Mohamed Yahya Ould CIRE

Président de AHME (Association des Haratine de Mauritanie en Europe)

guidumakha.com