Les assises des états généraux de la justice viennent d’être clôturées à Nouakchott-Mauritanie qui ont pour objectif de refonder ou de réfléchir ensemble sur les lacunes juridiques et judiciaires à combler dans le système judiciaire mauritanien.
L’on sait qu’aujourd’hui pour qu’un Etat dit démocratique accède au meilleur niveau de développement économique, social, politique et culturel il faut une justice indépendante neutre et impartiale qui n’est plus aux ordres du pouvoir exécutif et qui répond aux normes internationales.
En étant un républicain convaincu que le développement de la Mauritanie passe par ces institutions solides, républicaines et démocratiques comme par exemple l’institution de la justice, il est de mon devoir de participer à notre modeste niveau à la construction et à l’amélioration de notre système judiciaire pour le bien de nos concitoyens.
Tout le monde sait que le système judiciaire actuel en République islamique de Mauritanie tire son origine de l’organisation judiciaire française dont la Mauritanie a hérité. Plusieurs réformes depuis l’indépendance ont étés menées sans succès et sans pouvoir sortir le système judiciaire de son cercle vicieux: d’abord la justice est victime de crise de confiance, victime d’instrumentalisation politique et tribale, victime de corruptions, victime de moyens financiers et humains, victime de compétences et de crédibilités en termes de décisions rendues entre autres.
C’est de cela que tout le monde souffre ; à commencer par les magistrats eux-mêmes, les auxiliaires de justice, les avocats et les citoyens mauritaniens. La justice est aujourd’hui considérée comme une institution en crise de confiance comme en témoignent les justiciables mauritaniens de tout bord lors de mes enquêtes de terrain à Nouakchott et à l’intérieur du pays auprès de mes concitoyens mauritaniens pendant mes recherches doctorales (voir ma thèse de doctorat soutenue le 25 novembre 2022 à Paris sur les modes alternatifs de règlement des conflits en Mauritanie : regard anthropologique et juridique).
Le Ministre mauritanien de la justice et le gouvernement doivent surtout travailler sur l’axe justice et confiance. Comment redonner confiance aux justiciables mauritaniens à l’égard de leur propre institution judiciaire ?
Mais aussi sur le renforcement de l’indépendance et l’impartialité de la justice ; sur la formation de qualité des magistrats ; sur l’éthique et la déontologie des magistrats et les auxiliaires judiciaires, car la justice est entendue, par définition comme une vertu morale. Ensuite, le gouvernement doit également adopter la culture de l’amiable dans le système judiciaire mauritanien afin de pouvoir désengorger l’institution judiciaire de certains contentieux civils, sociaux et commerciaux, car l’on sait qu’environ 57% des décisions rendues proviennent des tribunaux civils et commerciaux.
La question de l’éloignement géographique du juge aux justiciables doit être également prise aux sérieux par le gouvernement et par les responsables des états généraux de la justice, car il est inconcevable qu’en 2023 les justiciables mauritaniens continuent toujours à parcourir 45 à 50 kilomètres pour aller saisir un tribunal indépendant et impartial.
Souvent à cause de cet éloignement géographique les justiciables moins nantis abandonnent son droit fondamental pour faute de moyens financiers. A cela s’ajoute aussi la question de la collégialité devant les tribunaux des Wilaya. Ce qui revient à mettre fin le choix de l’unicité du juge devant les dits tribunaux. Je trouve que l’unicité du juge devant les chambres du tribunal de Wilaya porte atteinte à l’indépendance et à l’impartialité même du juge qui siège.
Ces constats sont les fruits de mes enquêtes de terrain auprès de mes concitoyens. En ce sens je me force de faire quelques propositions de réformes aux autorités mauritaniennes et aux responsables des états généraux de la justice même si la liste est loin d’être exhaustive :
Premier axe de réforme est celui du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) : Le Conseil supérieur de la magistrature a un rôle central à jouer dans l’application des principes qui régissent l’indépendance du pouvoir judiciaire mauritanien. En vertu de l’article 89 de la constitution mauritanienne le CSM est l’organe qui assiste le président de la République dans son rôle de garant de l’indépendance de la justice.
Le CSM est un organe stratégique qui joue un rôle primordial dans le choix de nominations, de l’avancement et la discipline des magistrats mauritaniens. A cet effet, le CSM doit être revêtu d’une autorité prompte à assurer la mission qui lui est dévolue. Pour cela il faut reconfigurer la composition du CSM.
En ce sens je propose de supprimer la présidence du CSM par le président de la République et la vice-présidence par le Ministre de la justice. Ce qui reviendrait à mon sens à confier désormais la présidence du CSM à la formation du siège (le président de la Cour suprême) et la vice-présidence à la formation du parquet (le procureur général près la Cour Suprême). Le Ministre de la justice sera désormais un simple membre du CSM comme les autres membres.
Le fait que le président de la République préside le CSM et le Ministre de la justice comme vice-président, cela fait ressortir une prééminence et une mainmise du pouvoir exécutif sur le CSM. Mais aussi la composition actuelle du CSM porte atteinte à l’indépendance de la justice dans son sens large.
D’ailleurs, le souhait de la doctrine est de supprimer toutes les manifestations de la soumission organique de la justice au pouvoir exécutif. Le président de la république et le Ministre de la justice doivent cesser de faire partie du Conseil supérieur de la magistrature. Cela permettrait au président de la République désormais d’exercer librement sa fonction de « garant de l’indépendance de la justice » comme il l’entend.
Il est également important d’améliorer et de recadrer les pouvoirs traditionnels du CSM : pouvoir de nomination et pouvoir disciplinaire. Tout cela permet de renforcer l’indépendance et l’impartialité des magistrats mais aussi de rétablir une certaine confiance entre les justiciables et leur propre institution judiciaire.
2 ème axe de réforme est celui de formation des magistrats : Le Ministère de la justice doit élaborer un plan de formation visant à améliorer la qualité et les compétences des magistrats et les auxiliaires de justice. Cette formation professionnalisante doit tenir compte la spécialisation des magistrats, leur domaine spécifique et la durée de formation.
Dans la perspective de privilégier les compétences et le sérieux dans la justice le gouvernement doit aussi exiger un Bac+5 (Master2) en droit et/ou en charia islamique au concours de la magistrature, car le service public de la justice est complément diffèrent des autres services publics de l’Etat.
Le Ministère de la justice doit également mobiliser des ressources humaines, financières et matérielles supplémentaires afin d’améliorer le bon fonctionnement de l’institution judiciaire et mettre les juges à l’abri de tout besoin financier et matériel. En ce sens il faut mettre le magistrat dans de très bonnes conditions de travail et surtout financières afin d’éviter la corruption de ce dernier.
Car tout le monde sait qu’en Afrique le juge est sollicité partout et en tout milieu, qui a un ancrage social et sociétal fort qui lui suit partout. Le juge est interpellé partout, dans la rue, dans les baptêmes voire même dans les funérailles par ses amis, son entourage, ses cousins, sa tribu, ses tantes….
A cet effet, il est primordial de mettre le juge à l’abri du phénomène de corruption et de la partialité en lui assurant un très bon salaire convenable, car un juge mal payé est un juge corrompu à 200%.
3eme axe de réforme est celui de la suppression du juge unique dans les tribunaux de Wilaya : La collégialité est une technique par laquelle une décision unique est rendue par une pluralité de juges à l’issue d’un délibéré qui doit demeurer secret. Il me semble bien que l’on n’ait jamais fait totalement confiance à un juge unique.
La collégialité est un principe fondamental d’une justice indépendante et impartiale. Devant les tribunaux des Wilaya, c’est les biens, la vie et les libertés de nos concitoyens qui sont en jeux. Je trouve qu’il est aujourd’hui inconcevable de laisser la vie et les libertés de nos concitoyens entre les mains d’un seul homme pour décider.
Les décisions devant les tribunaux de Wilaya doivent désormais être débattues par un collège des magistrats afin d’éviter les erreurs judiciaires, la partialité, la violation des droits fondamentaux des justiciables et les principes fondateurs d’une justice républicaine.
4eme axe de réforme est celui d’établir un code d’éthique et déontologique : Ce code va permettre de sanctionner tout magistrat, ou tout greffier, ou encore tout avocat qui s’adonne à des activités qui seraient contraire aux principes fondamentaux de la justice, à l’éthique de sa fonction et à la bonne conduite. Ce code sanctionnera également les comportements des magistrats et des auxiliaires de justice qui seraient contraire aux principes posés par la charia islamiques.
5eme axe de réforme est celui du développement de la culture de l’amiable au sein des tribunaux mauritaniens dans le domaine civil, social et commercial : L’on sait que la définition romaine de la justice (rendre à chacun le sien) ne semble pas répondre aujourd’hui aux attentes des justiciables mauritaniens en matière civile et commerciale.
La justice peut avoir d’autres significations très différentes dans les sociétés africaines et d’autres finalités qui ne sont pas celles de l’occident. L’une des finalités de la justice dans les sociétés africaines est la « vérité sociale » par opposition à la « vérité judiciaire » chez les occidentaux.
Pour cela le gouvernement doit adopter une politique nationale des modes amiables de règlement des conflits en conformité avec les reformes du CPCAC de 2019 sur les médiations judiciaire et conventionnelles et la loi de 2019 portant le code de l’arbitrage. Les modes alternatifs, il s’agit là, d’une justice de paix et de cohésion sociale.
L’amiable est un processus qui permet d’accompagner les citoyens vers un règlement pacifique de leurs litiges plus rapide et moins cher. Mais il permet aussi de libérer les tribunaux de certains contentieux civils et commerciaux. A cet effet, le gouvernement doit assurer une formation de qualité aux acteurs judiciaires à ce type de justice plus rapide, moins couteuse et moins formalisante et qui prône pour la paix.
Enfin 6éme et dernier axe de réforme est celui du droit pénal et la procédure pénale : Il est important de reformer les textes portants code pénal et code de procédure pénale. Ces codes sont devenus obsolètes voire même inadaptés à l’évolution du droit pénal et de la procédure pénale.
Le juge se retrouve aujourd’hui dans plusieurs cas des figures devant un vide juridique et le comportement infractionnel se bascule aujourd’hui vers le numérique et le net. Il est temps de réforme la procédure pénale afin de favoriser ici encore la collégialité en matière de l’instruction devant les tribunaux des Wilaya. Il est aussi urgent de reformer le droit à la garde à vue afin que les règles de celle-ci soient conformes aux textes internationaux.
Qu’Allah bénisse la Mauritanie !!!
Boubou BA Docteur en Droit de l’Université Paris - Nanterre
Membre du Centre d’Histoire et d’Anthropologie du Droit à Paris - Nanterre
Juriste aux référés au palais de justice de Pontoise - France
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* Titre source : Ma contribution citoyenne aux états généraux de la JUSTICE qui viennent d’être clôturés le 11 janvier 2023