Salimata Lam, coordinatrice des programmes à SOS-Esclaves : ‘’ Taazour aurait dû être la main de l’État mettant en œuvre de grandes actions d’éradication de l’esclavage’’

lun, 22/03/2021 - 07:44

Le Calame : SOS-Esclaves a célébré la Journée nationale de lutte contre l’esclavage. Quel sens donnez-vous à cette journée et quelle évaluation en dressez-vous depuis son instauration ? Que fait l’État pour l’occasion ?

Salimata Lam : Effectivement, SOS-Esclaves a célébré la Journée nationale contre l’esclavage. Pour moi, l’abaissement de la pratique au rang de crime contre l’humanité et la fondation de tribunaux spéciaux sont d’excellentes initiatives… dans le texte. Il reste la prise d’actions significatives qui aideraient à marquer cette journée d’un sceau fort en réformes sociétales et mesures d’éradication réelles de  l’esclavage. Or, depuis qu’elle a été instaurée, cette journée n’a donné, aux institutions de l’État, que l’occasion de mieux nier la pratique, en n’en soulignant que les séquelles.

J’estime que cette journée n’a pas été assez vulgarisée pour que les victimes et les associations des droits de l’Homme en fassent une « journée-symbole-mémoire », ce qu’elle ne peut être si l’esclavage est toujours vivant, persistant. Elle aura au moins donné l’occasion, pour SOS-Esclaves, de donner la parole aux ayants droit, en l’occurrence les victimes réelles qui ont eu l’occasion de dire haut et fort qu’elles le sont de l’esclavage, qu’elles ont reçu l’aide des associations pour survivre mais qu’elles restent, elles et leurs enfants, apatrides en leur pays.

 

-Lors de cette journée, des personnes libérées de l’esclavage se sont plaintes, en racontant leur expérience et l’appui que leur fournit SOS-Esclaves, des obstructions qu’elles rencontrent pour entrer en possession des papiers d’état-civil et envoyer leurs enfants à l’école. Que fait votre organisation pour les aider en ces difficultés ?

-L’organisation a entrepris des plaidoyers nationaux et internationaux depuis 2013 auprès des autorités afin que des mesures spécifiques soient prises pour faciliter l’enrôlement des victimes d’esclavage à l’état-civil. Depuis quelques mois, nous préparons une nouvelle et large campagne de plaidoyer en ce sens. Pour que les enfants ne soient pas laissés en rade, nous avons ouvert parallèlement des classes permanentes d’alphabétisation et d’enseignement du Saint Coran.

 

-On constate que les organisations nationales de lutte contre l’esclavage célèbrent cette Journée chacun dans son petit coin. Cela n’en réduit pas la portée ?

-Le fait que chaque organisation célèbre la Journée à sa façon, dans son petit coin est certes globalement contre productif. Cela ne montre pas combien sommes-nous à lutter contre la pratique, combien de survivants plaident leur propre cause. Il est sûr que si tous adoptaient au moins un même objectif à atteindre chaque année, la voix des survivants porterait plus loin.

 

- Pouvez-vous nous dire les principaux programmes que SOS-Esclaves exécute sur le terrain pour lutter contre l’esclavage et prendre en charge les victimes libérées ?

-Grâce au soutien de ses partenaires, SOS-Esclaves mène des activités socioéconomiques destinées directement aux survivants, telles que l’alphabétisation des adultes et des mineurs, la mise en place d’activités génératrices de revenus, notamment au profit de 180 femmes à Néma, Bassiknou et Atar. À Nouakchott, 198 femmes issues de toutes les moughataas profitent d’ateliers de teinture, couture, restauration, salon de coiffure…

Nous menons également des activités de formation professionnelle pour 80 femmes. L’activité centrale de nos programmes reste cependant l’assistance juridique des victimes avec deux avocats et un assistant juridique qui suivent jusqu’à terme les dossiers restés en justice.

Les réseaux de soutien et d’accompagnement des survivants sont constitués de 100 personnes, 25 par localité d’intervention. Ces réseaux ont pour rôle de suivre les rescapées, les aider dans toutes leurs quêtes (état-civil, maladie, vie sociale, AGR…), les aider à une meilleure résilience, à déposer leur plainte selon les procédures, si elles le demandent, et à mieux s’intégrer socialement.

 

-Que pensez-vous du rôle des structures de l’État, notamment la délégation Taazour ?

-De mon point de vue, quand on disait « séquelles » de l’esclavage, c’était déjà vouloir noyer le poisson. Nous avons connu le PESE et Tadamoun où l’État mettait un peu la forme par rapport aux conventions sur l’esclavage et la feuille de route de l’ancienne rapporteuse sur l’esclavage. Dans les documents de stratégie et le déroulement du programme, on prenait au moins la peine de d’évoquer ces fameuses « séquelles de l’esclavage ». Mais on assiste, avec Taazour à une rupture dans le texte et le contenu des programmes. Il n’est plus désormais question que de « vulnérables » et « vulnérabilité », « les séquelles » et « l’esclavage » ont carrément disparu du langage officiel écrit de la nouvelle agence.

Comme l’agence qui l’a précédé, Taazour aurait dû être la main de l’État mettant en œuvre de grandes actions d’éradication de l’esclavage, et de soutien économique, social et juridique aux rescapés mais c’est loin d’être le cas, hélas ! Elle aurait dû collaborer avec la société civile dans le combat, en les impliquant résolument dans la réflexion sur les politiques et les mesures à prendre pour se débarrasser de ce fléau.

 

-À l’instar de leurs sœurs du Monde, les femmes mauritaniennes ont célébré la Fête du 8 Mars. La majorité des mauritaniennes se sentent-elles concernées ? Ne privilégient-elles pas plus le folklore que le combat pour leur émancipation véritable ? On a le sentiment qu’elles n’en font pas assez pour obtenir l’adoption de la loi sur le genre que l’Assemblée nationale a rejetée à deux reprises ?

-La célébration du 8 Mars est vécue partout dans le Monde. Cette année, le thème de la journée était : « Leadership féminin, pour un futur égalitaire dans le monde de la Covid-19 ».Selon les lieux et contextes, chacun lui a donné un contenu selon ses propres préoccupations. Dans les milieux africains d’aujourd’hui, la priorité est grandement donnée à l’autonomisation, encore l’autonomisation, et toujours la lutte contre les violences faites aux femmes.

Il est certain qu’en Mauritanie, la majorité des femmes, surtout les rurales, se préoccupent peu de cette célébration. Quand elles le font, c’est surtout sous forme d’exposition et ventes de marchandises, ce qui est, en soi, bon et encourageant, puisque cela s’inscrit dans la dynamique d’autonomisation féminine. Mais il y a aussi des aspects liés à la construction d’un leadership plus opérant, à la capacité de lutte contre les violences et autres harcèlements, à la recherche de plus de lois de protection de la femme qui restent à améliorer. Et le fait est que seule une élite s’engage dans la réclamation et le plaidoyer pour la loi contre les violences de genre. L’idéal aurait été de descendre auprès des populations à la base et sensibiliser les femmes et les hommes de bonne volonté afin que cette attente voie enfin une  issue heureuse.

Propos recueillis par Dalay Lam