À peine créée pour promouvoir une Mauritanie pluriethnique et lutter contre l’esclavage, l’injustice et l’impunité, l’Alliance pour la refondation de l’État mauritanien est victime d’un coup de filet.
Quatorze personnes ont été interpellées, dont plusieurs défenseurs des droits humains, et neuf d’entre elles sont incarcérées depuis la semaine dernière à Nouakchott, en Mauritanie, a alerté Amnesty International. L’ONG s’est dite « extrêmement préoccupée » par leur sort, en raison des poursuites pour atteinte à la sûreté de l’État.
Pour la militante féministe et défenseure des droits humains Aminetou Mint El Moctar, nul doute que le coup de filet visait particulièrement l’Alliance pour la refondation de l’État mauritanien (Arem), dont elle est une des vice-présidentes.
L’Alliance a été fondée à Paris, début janvier, par des Mauritaniens de Mauritanie et de la diaspora, avec la volonté d’en finir avec « les vieilles pratiques de mauvaise gouvernance, d’injustice et d’impunité ». Elle entend lutter contre l’esclavage et le système de castes persistant dans le pays, favoriser la mixité ethnique, défendre les droits humains et la libération des femmes.
« Nous avons été onze personnes interpellées trois jours après la première réunion de l’Alliance dans une auberge à Nouakchott, des membres du bureau de l’Arem et des membres du mouvement « Nous voulons une Mauritanie laïque », également réunis dans l’auberge », rapporte Aminetou Mint El Moctar, qui a été libérée sous contrôle judiciaire, tout comme la propriétaire de l’auberge, Mekfoula Mint Brahim, lauréate du prix franco-allemand des droits de l’Homme en 2018 et décorée de la Légion d’honneur française en décembre dernier. La notoriété internationale des deux femmes a certainement contribué à leur libération.
Trois arrestations pour prosélytisme chrétien
Les onze personnes interpellées ont été associées à trois jeunes, arrêtés auparavant pour prosélytisme chrétien, alors qu’ils distribuaient des copies de la Bible, sur le sol de la République islamique. « Nous sommes devenus un groupe de quatorze, poursuit Aminetou Mint el Moctar. Lors des interrogatoires, toutes les questions ont porté sur l’Arem pour chacun d’entre nous. Jusqu’ici le mouvement pour une Mauritanie laïque, qui a fêté ses trois ans, n’avait pas été inquiété ».
Les autorités ont, selon elle, la nouvelle Arem dans leur ligne de mire. Qui a organisé la réunion de l’Arem ? Qui l’a financée ? L’Alliance est-elle dirigée par le mouvement laïque ? En qualité de vice-présidente, Aminetou Mint El Moctar a été assaillie de questions. Et le premier chef d’accusation de « tenue d’une réunion non autorisée » a ensuite été requalifié en « atteinte à la sûreté de l’Etat ».
Une source judiciaire a confirmé à l’AFP que les militants de l’Arem sont « soupçonnés de porter préjudice à l’unité nationale, à la cohésion sociale, et à la religion, alors que la Mauritanie est une république islamique ». S’attaquer à la religion, et plus encore à l’immuable système de castes, et prôner la mixité interethnique sont des accusations qui pèsent très lourd en Mauritanie, comme le rappelle le cas de Mohamed Cheikh Mkhaitir, ancien condamné à mort pour ces raisons, qui a trouvé refuge en France après avoir passé près de six ans dans les geôles du pays.
« Il est impossible de visiter les neuf détenus incarcérés, nous, les militants de l’Arem, sommes victimes d’une campagne de dénigrement dans tous les médias publics et privés, toute liberté d’expression est muselée, non rien n’a changé avec le nouveau président », se révolte Aminetou Mint El Moctar. Mohamed Ghazouani a succédé, en août dernier, à l’ancien président et putschiste Mohamed Abdel Aziz resté au pouvoir près de dix ans.