Des manifestations meurtrières ont eu lieu à Conakry, la capitale guinéenne, lundi 14 et mardi 15 octobre, contre le projet de révision constitutionnelle qui pourrait permettre au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat. Après avoir perdu l’un des siens en marge des manifestations, une famille a été gazée par les gendarmes, alors qu’elle recevait les condoléances de ses voisins, dans la commune de Ratoma.
Dans une vidéo de 41 secondes partagée plusieurs fois sur les réseaux sociaux, on voit un homme et une femme allongés sur la véranda d’une résidence, et quelques gouttes de sang à côté d'eux. On entend également la personne qui filme la scène hurler :
Regardez, ils viennent encore ici pour nous gazer, pour tirer à balles réelles. Regardez ma maman. Regardez ça s’il vous plaît, regardez ça. L’opinion internationale, regardez-ça. Ils ont tué nos enfants hier. Ils viennent encore nous trouver ici. Regardez-ça.
Selon plusieurs témoignages que nous avons recoupés, cette scène s’est passée mardi 15 octobre, dans la cour d’une concession située dans le quartier Wanidara, dans la commune de Ratoma, un fief de l’opposition à Conakry.La veille, Bah Thierno Sadou, un jeune de 18 ans vivant dans cette concession avait été tué lors des manifestations de l’opposition contre le projet de révision constitutionnelle du gouvernement, sévèrement réprimées.“Deux pick-up de la gendarmerie ont surgi, et ils ont tiré des gaz lacrymogènes” Bah Mamadou Bobo vit dans cette concession. Il explique ce qui s’est passé :
Lundi 14 octobre, Thierno Sadou Bah et son ami Mamadou Karffa Diallo étaient sortis de la cour commune pour voir ce qui se passait dans les manifestations, quand des gendarmes sont venus. Ils ont tiré d’abord sur Mamadou Karffa Diallo, puis sur Thierno Sadou Bah, mon neveu, qui voulait aider son ami à se relever. Ils sont morts par la suite : le constat a été fait par des agents de la Croix-Rouge.
À la suite du décès de notre jeune garçon, les familles proches de nous et vivant dans les quartiers proches de Wanidara se sont déplacées pour nous adresser leurs condoléances. Des tentes et des chaises ont été installées dans la cour pour les accueillir. Mais à 9h, deux pick-up de la gendarmerie ont surgi. Les gendarmes ont commencé à proférer des injures. Ils sont rentrés dans la cour qui était ouverte, ont jeté les chaises, déchiré les tentes et ont tiré des gaz lacrymogènes. Ils ont trouvé mon frère sur la véranda avec sa femme [les deux personnes que l’on voit au sol, dans la vidéo, NDLR] et ses enfants et ont tiré sur ses membres inférieurs. Mais il va mieux depuis. Il marche à l'aide d'une canne.
“À Ratoma, dès qu’il y a des manifestations, les gendarmes font preuve d'une grande violence” Bastion de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le principal parti d’opposition de Cellou Dallein Diallo, la commune de Ratoma serait régulièrement prise pour cible par les forces de sécurité lors des manifestations. Bah Mamadou Bobo s’indigne :
Ils ont menacé beaucoup de personnes dans notre quartier. À Ratoma, dès qu’il y a des manifestations, les gendarmes font preuve d'une grande violence. C’est la commune qui est visée. Beaucoup de personnes manifestent du côté de Matodo, de Matam [deux autres communes de Conakry, NDLR], mais il n’y a jamais de morts dans ces zones. C’est seulement ici qu’il y a des morts. Même quand les populations ne sortent pas manifester, les gendarmes viennent dans les concessions pour frapper.
Une habitante de Ratoma, qui assure vivre dans cette commune depuis plus de dix ans et qui a souhaité garder l’anonymat, renchérit :
Lorsqu’il y a des manifestations, les gens sortent partout à Conakry. Certaines personnes brûlent des pneus. Mais c’est à Ratoma que les morts sont comptés. Les forces de l’ordre lancent des gaz lacrymogènes, tirent sur les gens qui sont devant leur maison. Ils ne devraient pas faire cela. Après, ce n’est pas toute la commune de Ratoma qui est concernée par les violences : ce sont les quartiers aux alentours de la route Le Prince.
Contacté par la rédaction des Observateurs de France 24, l’ancien porte-parole de la gendarmerie Mamadou Alpha Barry reconnaît que la répression est plus accentuée du côté de Ratoma : “Mais je n’ai pas davantage de réponses à donner par rapport à cela.” Le général Ibrahima Baldé, haut commandant de la gendarmerie guinéenne, n’a pas non plus répondu à nos questions.Au moins neuf personnes ont été tuées, selon un bilan du gouvernement - rendu public mercredi 16 octobre - dans des heurts entre les forces de l’ordre et des milliers de manifestants qui répondaient à l’appel du Front national pour la défense de la constitution (FNDC), une coalition regroupant les principaux partis d’opposition et des organisations de société civile contre le projet de révision constitutionnelle.>>